J’ai l’intuition que quand nous ferons le grand passage, quand nous quitterons cette terre et que nous vivrons le face à face avec Dieu, j’ai l’intuition que nous serons très étonnés, très surpris par Celui que nous découvrirons.
J’ai cette intuition parce que, quand nous lisons la Bible et que nous méditons la Parole de Dieu, nous pouvons discerner qu’au fil du temps, à l’occasion des évènements qui marquent l’histoire du Peuple de Dieu, petit à petit, les croyants juifs sont amenés à chaque étape à découvrir un autre visage de Dieu qu’ils ne soupçonnaient pas et à approfondir ainsi leur relation à Dieu. Pour ne donner qu’un exemple, souvenons-nous du prophète Elie : la reine Jézabel lui en veut à mort ; il est obligé de fuir ; le Seigneur l’appelle à aller aux sources de la foi et à se rendre au mont Horeb ; et là, alors qu’Elie a besoin d’être fort, il fait une expérience spirituelle étonnante : Dieu n’est pas dans l’ouragan, ni dans le tremblement de terre, ni dans le feu, mais dans le murmure d’une brise légère. (1R 19). Ainsi, au fil du temps et des évènements, les croyants juifs font l’expérience que Dieu est à la fois le Tout Autre et le Très Proche.
Cette expérience est encore plus manifeste avec Jésus. On n’avait pas imaginé un tel Messie ! On n’avait pas non plus envisagé que Dieu se révèle sous les traits d’un homme, ni d’un homme tel que Jésus de Nazareth. Les disciples sont à la fois séduits par tout ce que fait Jésus (son attention aux petits, aux malades, sa manière de parler de Dieu son Père, etc), mais bouleversés, étonnés, déconcertés par sa manière de vivre et par ses choix. Mais qui est donc cet homme, Jésus de Nazareth ? Il y a un décalage entre les attentes des foules et les choix de Jésus. Entre les aspirations des disciples et la volonté de Jésus.
C’est particulièrement clair quand Jésus monte à Jérusalem pour y vivre sa passion. Voilà qu’après avoir nourri toute une foule à partir de 5 pains et 2 poissons, les gens veulent le faire roi. Jésus refuse et oblige ses disciples à partir sur l’autre rive du lac pendant qu’il renvoie la foule. Jésus pourrait prendre le pouvoir mais il fait un autre choix : son Royaume n’est pas de ce monde. Incompréhension des disciples. Non seulement Jésus refuse d’être roi mais il annonce qu’on va l’arrêter, le condamner, qu’il va subir les pires outrages et l’infamie de la mort sur la Croix. Nous nous souvenons de la réaction de Pierre : « Cela ne t’arrivera pas ! Dieu t’en garde ! » Et la réplique cinglante de Jésus : « Arrière de moi, Satan ! Tes pensées ne sont pas celles de Dieu mais celles des hommes ! » Faisant ainsi écho à ce que Yahvé annonçait déjà par la bouche du prophète Isaïe : « Vos pensées ne sont pas mes pensées et mes chemins ne sont pas vos chemins. Autant les cieux sont élevés au-dessus de la terre, autant sont élevés mes chemins au-dessus de vos chemins et mes pensées au-dessus de vos pensées. » (Is 55)
Dieu nous prend souvent à contrepied. Il nous étonne et nous surprend. Il nous déconcerte même. Décidément notre religion n’est pas une religion comme les autres. C’est pour cela que j’ai l’intuition qu’au moment de notre grand passage nous serons très surpris. Et je le crois : heureusement surpris. Car l’objectif de Dieu c’est notre bonheur. Et j’ai l’intuition que quand nous paraîtrons devant Dieu, en même temps que nous le découvrirons, nous ferons la vérité sur nous-mêmes et nous serons réconciliés avec Dieu, avec nous-mêmes, avec les autres. Si bien sûr, nous consentons à accueillir ce Dieu surprenant.
En ce 2 novembre, nous faisons mémoire de tous ceux qui nous ont précédés. Nous pensons à ce que nous avons partagé ensemble et qui nous a marqués. Ce sont souvent des choses simples de la vie, des anniversaires, des Noëls, des coups de main, des visites quand on était malades, etc… Des choses simples donc, mais qui avaient du poids, qui avaient une certaine densité, qui avaient du sens et qui se sont ainsi imprimés en nous. Nous croyons que cette vie est précieuse, que Dieu y est présent et qu’Il nous parle à travers la vie de nos frères les hommes.
Certaines personnes ont été lumière sur notre chemin, signes de la présence et de l’action de Dieu. Nous en rendons grâce. Il est possible aussi qu’avec quelques-uns il y ait eu des épisodes plus conflictuels, des désaccords, des blessures jamais complètement pardonnés. Heureusement, notre Dieu est miséricorde. Nous demandons pardon pour nous-mêmes et nous confions nos frères et nos sœurs à la grande bonté de Dieu. Que le Seigneur continue de faire du neuf pour eux et en nous. Nous espérons que lors de leur grand passage ils ont vécu leur Pâque, qu’ils sont passés de la mort à la vie et qu’ils partagent maintenant la joie de la Résurrection du Christ.
Il est vrai que nous ne savons pas comment cela se passe concrètement après la mort. Nous n’avons pas de réponses toutes faites au grand mystère de la vie et de la mort. Et il est possible que dans notre assemblée les opinions soient très diverses. Mais, devant la mort, ce qui guide les chrétiens c’est la confiance. La confiance en la grande bonté de Dieu qui ne peut abandonner ses enfants. Nous faisons confiance en la parole de Jésus : « Tous ceux que le Père me donne viendront à moi ; et celui qui vient à moi, je ne vais pas le jeter dehors…La volonté de mon Père qui m’a envoyé, c’est que je ne perde aucun de ceux qu’il m’a donnés, mais que je les ressuscite tous au dernier jour. » (Jn 6, 37-39) « … et il y a beaucoup de demeures dans la maison du Père. » (Jn 14,2)
C’est aussi la confiance que nous mettons en Dieu qui nous fait croire que tout ce que nous avons reçu de nos frères et sœurs défunts et tout ce que nous avons pu vivre et échanger avec eux, que tout cela n’est pas perdu. Que Dieu lui-même nous a beaucoup donné à travers eux. Que la vie éternelle était déjà là quand ils étaient avec nous. Que cette vie-là continue au-delà de la mort physique et de la séparation. Que tout s’éclairera quand tous nous serons face à Dieu et que nous Le découvrirons tel qu’Il est. Et que nous serons heureusement surpris de découvrir le sens et la vraie richesse de nos vies. Que seront mis en lumière des aspects cachés de nos vies et de nos personnalités, alors que ce qui nous préoccupe beaucoup aujourd’hui nous paraîtra peut-être très secondaire, voire futile… Ce qui est sûr, c’est comme l’affirme saint Paul : « l’amour ne passera jamais ». Rien ne sera perdu de l’amour qui a été vécu.
Dieu nous l’a promis par la bouche du prophète Isaïe : il a préparé de tout temps un grand festin auquel il convie tous les peuples. Rien n’est trop grand pour lui. Il a faim et soif de nous rencontrer. C’est pourquoi il invite largement à participer à ce banquet céleste. Il nous y attend ; il y convie tous ses enfants de toutes races, peuples, langues et nations. Nous l’espérons pour nous-mêmes et pour nos frères et sœurs défunts. Que cette eucharistie nous en donne le goût. Amen.
Père Daniel Ducasse
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