Homélie de la Toussaint

Ce texte dont toutes les phrases commencent par le mot « bienheureux » peut nous paraître incongru, très beau mais concrètement irréalisable, complètement décalé par rapport à ce que nous vivons actuellement dans notre pays, après ces 2 attentats horribles et cette pandémie qui nous oblige à un reconfinement.

Et pourtant ce texte c’est un peu comme la charte du chrétien. Il a traversé plus de 20 siècles d’histoire de l’humanité. 20 siècles marqués par la violence, mais aussi 20 siècles au cours desquels des femmes et des hommes ont aspiré à une vie meilleure, plus vraie, plus paisible, plus juste, plus fraternelle. 20 siècles au cours desquels des femmes et des hommes se sont laissés interpeller par ce message de Jésus.

Je nous propose donc de nous laisser toucher, rejoindre par cet évangile. D’emblée, Jésus nous dit que Dieu veut notre bonheur et comment il voit ce bonheur. Un bonheur vrai et durable. Nous savons combien il est important de prendre conscience que Dieu veut notre bonheur, qu’il veut le meilleur pour chacune et chacun de nous, comme un père pour ses enfants. Or, ce n’est pas du tout évident de croire en la grande bonté de Dieu, surtout quand nous traversons des épreuves. Dans ces moments-là, le doute peut nous envahir : est-ce que Dieu est bien là avec nous, à nos côtés ? Est-ce qu’il va nous guérir et nous sauver ? Est-ce bien vrai qu’il veut notre bonheur ?

Le bonheur annoncé par Jésus n’est pas un bonheur à l’eau de rose. Ce n’est pas un bonheur facile. Jésus prend en compte les difficultés de la vie : la lutte pour la paix et la justice ; le combat spirituel pour avoir un cœur humble, pauvre et disponible ; le pardon pour éviter l’escalade de la violence ; un cœur pur pour voir l’action de Dieu dans l’épaisseur chaotique de nos vies ; le courage du témoignage malgré les incompréhensions, le rejet et les moqueries. C’est un bonheur qui concerne aussi bien notre relation à Dieu que nos relations aux autres.

Regardons de plus près ce que veut nous dire vraiment Jésus et de quel bonheur il s’agit.

Quand il dit « heureux les pauvres », il ne dit pas « vous êtes pauvres, donc vous êtes heureux » encore moins : « plus vous serez pauvres, plus vous serez heureux ». Jésus ne souhaite pas que les gens vivent dans la misère. Il a même tout fait pour soulager la misère des personnes de son époque. Et au cours des siècles, les chrétiens ont été nombreux, et ils le sont encore aujourd’hui, à lutter contre la pauvreté sous toutes ses formes. Je pense que l’on pourrait traduire : « vous êtes pauvres mais soyez heureux parce que Dieu vient vous visiter, il ne vous laisse pas tomber ; il vient vous rejoindre pour vous faire partager son Royaume. »

Vous trouvez que ce monde est trop violent et vous aspirez à la paix, la douceur, la tendresse : Dieu est d’accord avec vous ; il vous promet une terre meilleure et il vous appelle ses enfants.

Vous estimez que ce monde est injuste et vous aspirez à la justice. Dieu est avec vous et soyez heureux parce qu’il vous rejoint dans votre combat ; il va vous nourrir et vous rassasier pour vous donner des forces.

Vous avez reçu des coups dans votre vie et vous êtes prêts à pardonner. Dieu vous assure que vous avez raison ; il va vous donner l’audace de pardonner et il vous pardonne aussi toutes vos fautes.

Vous avez plein d’épreuves à en pleurer de douleur et de tristesse : Dieu vient vous consoler.

Ainsi, Jésus nous affirme que le bonheur est possible là, au milieu de nos difficultés et de nos malheurs, car Dieu vient nous rejoindre pour nous habiter et vivre avec nous nos épreuves. Au cœur de nos épreuves, il nous fait le bonheur de sa présence ; il nous redonne vie et espérance. Le bonheur dont parle Jésus c’est un don et une promesse.

Jésus peut nous l’assurer car il l’a expérimenté. Il nous parle de ce qu’il vit lui-même. Lui aussi a traversé l’épreuve. Il a passionnément aimé Dieu et les hommes. Il a aimé et pardonné. Il a fait le bon choix, le choix de la confiance en son Père et le choix de pardonner à ses bourreaux ; Il s’est donné jusqu’au bout et, au matin de Pâques, Dieu son Père lui a donné raison : il l’a ressuscité.

Si nous lisons ce texte le jour de la Toussaint, c’est parce nous faisons mémoire de tous ceux qui ont su, malgré leurs limites et leur péché, tracer un chemin de bonheur. Goûter à la présence de Dieu. Lui faire confiance et avancer sur la route malgré les obstacles. Ils n’étaient pas parfaits mais ils ont compté sur Dieu pour enrichir leur propre humanité et pour se mettre au service de leurs frères les hommes. Je pense à quelques grandes figures:

  • Sainte Thérèse d’Avila : elle dit elle-même qu’elle avait une vie religieuse médiocre jusqu’au jour où elle choisit de se donner entièrement à Dieu et de lui faire confiance ; elle deviendra la femme d’action et de contemplation que l’on sait. Réformant le Carmel, nous donnant son expérience de Dieu dans le « Château intérieur ».
  • Sainte Thérèse de Lisieux : elle était d’une hypersensibilité maladive ; elle a demandé au Seigneur de la guérir; elle a su trouver un équilibre et être au cœur de l’Église signe de l’Amour universel de Dieu ; du fond de son carmel, être attentive et prier pour un prisonnier, pour un missionnaire, pour un prêtre de paroisse.
  • Saint Vincent de Paul : au début, lui qui est d’origine modeste, il vit son sacerdoce comme une bonne situation sociale bien rémunérée. Mais tout change quand il prend conscience de la pauvreté spirituelle et matérielle des gens dans les campagnes. Il va devenir un homme de prière et un homme d’action auprès des plus pauvres, des malades et des prisonniers.
  • Saint Jean XXIII : à l’heure d’une retraite bien méritée – il avait 77 ans – il s’est lancé dans l’aggiornamento de l’Église et le concile Vatican 2….
  • Saint Paul : persécuteur de l’Église, il devient Apôtre du Seigneur Jésus après avoir été illuminé et pardonné sur le chemin de Damas.
  • Saint Pierre : malgré tout ce qu’il avait dit auparavant, il a renié Jésus par trois fois au moment de sa Passion. Mais Jésus lui pardonne et lui fait confiance en lui donnant la responsabilité de confirmer ses frères dans la foi.
  • Etc…

Et l’on pourrait continuer la liste très riche de ceux qui sont ainsi reconnus officiellement des saints et qui figurent dans le calendrier. C’est ce que nous ferons dans un instant dans la litanie des saints.

Mais nous n’oublions pas ceux que le pape François appelle « les saints de la porte d’à côté ». « J’aime voir la sainteté, dit-il, dans le patient peuple de Dieu : chez ces parents qui éduquent avec tant d’amour leurs enfants, chez ces hommes et ces femmes qui travaillent pour apporter le pain à la maison, chez les malades, chez les religieuses âgés qui continuent de sourire (…) C’est cela, souvent, la sainteté « de la porte d’à côté », de ceux qui vivent proches de nous et sont un reflet de Dieu…. ».

Tout à l’heure, avant de prier ensemble notre Père des cieux, nous ferons précisément mémoire de nos frères et sœurs défunts, de celles et ceux qui ont, à leur manière, avec leurs limites certes mais aussi avec le meilleur de leur personnalité, tracé un chemin de bonheur. Nous les portons dans notre cœur et nous les confions à la miséricorde de Dieu. Nous lui demandons qu’ils connaissent la lumière, la joie et la paix de Pâques.

Frères et sœurs, nous aussi nous sommes appelés à la sainteté. A vivre de la vie même de Dieu.  Et nous sommes tous appelés à la sainteté. Quelle que soit notre vie, quelle que soit notre histoire, nous pouvons toujours, toujours, nous tourner vers Dieu. Comme Jésus, nous sommes appelés à faire confiance à notre Père des cieux et à nous laisser rejoindre jusque dans nos épreuves pour qu’Il nous relève et nous fasse vivre. AMEN.

Père Daniel Ducasse

 

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